Binidittu or l'Homme invisible
Binidittu questionne l'(in)visibilité des migrants subsaharien.e.s contemporain.e.s en Méditerranée à travers la figure exceptionnelle, bien que méconnue, de saint Benoît le More (Sicile 1524-1589) , fils d'Africains asservis, devenu le premier saint noir moderne de l'histoire. Il questionne l'amnésie de l'Europe et de l'Italie face à la présence historique des Afropéens, dont le More est l'une des figures les plus représentatives.
J'ai croisé la figure de Benoît le More en Colombie. J'étais à Bogotà faisant des recherches sur la mémoire des palenques, les communautés marronnes établies dans la forêt, en marge du monde colonial. A l'époque, ayant déjà commencé le projet Cham quelques années auparavant, j'ai été immédiatement intrigué par un certain san Benito de Palerme, comme on l'appelle dans les faubourgs de Giròn, auquel le culte est toujours dédié et des autels sont érigés. Quel pourrait être le lien entre Giròn et Palerme? En me poussant dans la recherche, une cartographie inédite de la mémoire s'est déployée sous mes yeux et j’ai pris la mesure de la circulation surprenante du saint parmi les communautés noires, dès l'Amérique latine à l'Afrique centrale. À ce moment-là, Benoît est devenu une figure familière. Il m'a guidé dans un long voyage de retour en Italie sur les traces de sa sainteté, mais surtout à la recherche de la figure historique, l'homme en chair et en os, dont le corps « non corrompu » est encore préservé et vénéré dans la ville de Palerme et dont histoire complexe, historique et symbolique, de la Méditerranée autant que de l'Atlantique, aussi locale que mondiale, ne cesse de me poser plus de questions.
Le projet se décompose en deux parties : la première se concentre sur l'héritage de saint Benoît le More, le culte porté par les fidèles sicilien.ne.s et leurs multiples représentations et discours. La seconde se concentre sur l'expérience complexe de la diaspora africaine vivant en Sicile. À quelques exceptions près, dans lesquelles la figure de Benoît, ou Benedetto comme on l'appelle en Sicile, est parfois revendiquée comme un symbole de la lutte antiraciste, ces deux mondes se croisent rarement.
Binidittu émerge comme une allégorie de notre temps : une rencontre entre la Mare nostrum et la mondialité, entre l'oubli et la mémoire, entre le racisme banalisé et notre humanité partagée, entre les aspirations du peuple sicilien et les espoirs de liberté et de dignité des migrant.e.s à la dérive vers les rives de l'Europe.
Nicola Lo Calzo, Janvier 2021
